Réactions sur l'article "Une Église en déroute" de Denise Bombardier
Hermann Giguère
Je vous transcris, avec la permission de l'auteur, l'article de Marco Veilleux sur une chronique de Denise Bombardier qu'Il a intitulé : «L’Église en déroute», ou l’impasse intellectuelle du discours nostalgique et mélancolique
La chronique de Denise Bombardier intitulée «L’Église en déroute», publiée dans le journal de Québec du 15 avril, me semble être symptomatique de l’impasse intellectuelle du Québec d’aujourd’hui. Malheureusement, trop de personnes (y compris nombre de croyants) se laissent berner par cette rhétorique nostalgique et mélancolique.
Ce discours conservateur – entonné en chœur depuis des années et sur divers registres par des intellectuels allant de Mathieu Bock-Côté à Bernard Émond en passant par Éric Bédard – réduit le catholicisme québécois à une «fonction muséale» (donc essentiellement passéiste) de «gardien de notre identité et de notre mémoire collectives». Comme tous ces autres «catholiques athées ou agnostiques», Denise Bombardier fait encore ici cette distinction pour le moins problématique entre, d’une part, «notre culture religieuse» et, d’autre part, «la foi» dont cette culture serait «indépendante» (distinction à la base de cette fumeuse «catho-laïcité» typiquement québécoise).
Nombre de croyant(e)s – incluant des prêtres et des évêques –, trop heureux de trouver en cela une sorte de «bouée de sauvetage», adhèrent aveuglément à cette rhétorique identitaire vouée à l’impasse. Ils se réconfortent ainsi devant la crise actuelle et bien réelle de l’Église catholique au Québec. Ils se laissant donc seriner à l’oreille qu’ils représentent encore, au moins aux yeux de certains, la pieuse relique de ce Canada français qui, malheureusement, disparaît peu à peu sans jamais être advenu à sa pleine indépendance… Bien triste et illusoire consolation pour des «gens de foi» qui devraient plutôt se préoccuper davantage du présent à transformer et de l’avenir à bâtir!
Ne voit-on pas qu’on se berce d’illusions, ici, en croyant que l’on va «sauver» quelque chose de la «religion catholique», au Québec, en la laissant se faire instrumentaliser de la sorte dans un rôle de gardienne de notre identité et de notre histoire nationales en panne de projets d’avenir?
Ce discours conservateur – entonné en chœur depuis des années et sur divers registres par des intellectuels allant de Mathieu Bock-Côté à Bernard Émond en passant par Éric Bédard – réduit le catholicisme québécois à une «fonction muséale» (donc essentiellement passéiste) de «gardien de notre identité et de notre mémoire collectives». Comme tous ces autres «catholiques athées ou agnostiques», Denise Bombardier fait encore ici cette distinction pour le moins problématique entre, d’une part, «notre culture religieuse» et, d’autre part, «la foi» dont cette culture serait «indépendante» (distinction à la base de cette fumeuse «catho-laïcité» typiquement québécoise).
Nombre de croyant(e)s – incluant des prêtres et des évêques –, trop heureux de trouver en cela une sorte de «bouée de sauvetage», adhèrent aveuglément à cette rhétorique identitaire vouée à l’impasse. Ils se réconfortent ainsi devant la crise actuelle et bien réelle de l’Église catholique au Québec. Ils se laissant donc seriner à l’oreille qu’ils représentent encore, au moins aux yeux de certains, la pieuse relique de ce Canada français qui, malheureusement, disparaît peu à peu sans jamais être advenu à sa pleine indépendance… Bien triste et illusoire consolation pour des «gens de foi» qui devraient plutôt se préoccuper davantage du présent à transformer et de l’avenir à bâtir!
Ne voit-on pas qu’on se berce d’illusions, ici, en croyant que l’on va «sauver» quelque chose de la «religion catholique», au Québec, en la laissant se faire instrumentaliser de la sorte dans un rôle de gardienne de notre identité et de notre histoire nationales en panne de projets d’avenir?
Ce discours ne mène à rien, sinon à se complaire dans une plainte morose sur notre soi-disant «déperdition collective» (culturelle et religieuse). Ou plutôt si, ce discours mène à quelque chose. Et même à quelque chose de très dangereux: en détachant ainsi la «foi» de ce que l’on appelle la «religion culturelle du Québec», on consent à faire du catholicisme (dit «culturel») un fétiche identitaire et passéiste; on réduit la «religion» à une idéologie pourvoyeuse de «valeurs» et de «repères» pour une société qui, semble-t-il, en manquerait; on «domestique» la foi en la désamorçant de toute sa «charge révolutionnaire».
C’est pourquoi les croyant(e)s québécois devraient sérieusement se méfier de ces rhétoriques conservatrices qui, sous des airs de complaisance envers «la tradition religieuse de la majorité», sont en fait en train de les «folkloriser» et de les embrigader dans un nationalisme de repli identitaire aux dérives parfois carrément réactionnaires. Triste renversement, au demeurant, lorsqu’on se souvient de la participation et du leadership de nombreux catholiques québécois dans la naissance et l’affirmation d’un néonationalisme progressiste, inclusif et socialiste au Québec de la Révolution tranquille (pensons aux Fernand Dumont, Jacques Grand’Maison, Simonne et Michel Chartrand, Mgr Bernard Hubert, Jacques Couture SJ, Julien Harvey SJ, etc.).
Oui, le «catholicisme institutionnel» (i.e. les structures, les monuments, les taux de pratique dominicale, le nombre de baptêmes et de mariages, les vocations cléricales et religieuses, etc.) implose au Québec. Mais ce n’est pas ça «la foi».
La foi n’a pas pour mission et pour finalité d’être «gardienne de la langue», de la «mémoire nationale» ou encore de la «culture majoritaire» d’un peuple. Cela peut arriver dans certaines conjonctures historiques (comme ce fut le cas pour le Canada français entre 1840 et 1960), mais c’est alors toujours au risque d’un dévoiement de cette foi et de dangereuses compromissions de celle-ci avec les forces du statu quo. Au Québec, nous en savons quelque chose!
C’est pourquoi les croyant(e)s québécois devraient sérieusement se méfier de ces rhétoriques conservatrices qui, sous des airs de complaisance envers «la tradition religieuse de la majorité», sont en fait en train de les «folkloriser» et de les embrigader dans un nationalisme de repli identitaire aux dérives parfois carrément réactionnaires. Triste renversement, au demeurant, lorsqu’on se souvient de la participation et du leadership de nombreux catholiques québécois dans la naissance et l’affirmation d’un néonationalisme progressiste, inclusif et socialiste au Québec de la Révolution tranquille (pensons aux Fernand Dumont, Jacques Grand’Maison, Simonne et Michel Chartrand, Mgr Bernard Hubert, Jacques Couture SJ, Julien Harvey SJ, etc.).
Oui, le «catholicisme institutionnel» (i.e. les structures, les monuments, les taux de pratique dominicale, le nombre de baptêmes et de mariages, les vocations cléricales et religieuses, etc.) implose au Québec. Mais ce n’est pas ça «la foi».
La foi n’a pas pour mission et pour finalité d’être «gardienne de la langue», de la «mémoire nationale» ou encore de la «culture majoritaire» d’un peuple. Cela peut arriver dans certaines conjonctures historiques (comme ce fut le cas pour le Canada français entre 1840 et 1960), mais c’est alors toujours au risque d’un dévoiement de cette foi et de dangereuses compromissions de celle-ci avec les forces du statu quo. Au Québec, nous en savons quelque chose!
Marco Veilleux
Certes la foi, au Québec, devient «humble et pauvre» sur le plan institutionnel. Mais c’est là une chance (ou en langage croyant «une grâce»)... «Laissons enfin les morts enterrer leur morts» (cf. Matthieu 8, 22) et assumons véritablement l’étonnante et paradoxale conclusion du texte de Madame Bombardier: «La résurrection du Christ, commémorée à Pâques, nous renvoie tous, croyants et non-croyants, à l’espérance, cet élan du cœur, de l’esprit et de l’âme qui illumine et transfigure toute vie.»
Eh bien voilà! Place à l’espérance!
Marco Veilleux , le mardi 18 avril 2017
P.S. Dans sa chronique, Denise Bombardier rappelle qu’au Québec «la foi fut gardienne et protectrice de la langue» et, du
même souffle, elle semble déplorer «l’effondrement de l’immigration judéo-chrétienne» (sic) et le fait que «le Québec religieux de l’avenir sera d’abord musulman». Ne voit-elle pas que c’est justement cette immigration francophone en provenance de pays majoritairement musulman (que le Québec, d’ailleurs, sélectionne lui-même à cet effet) qui contribue à «sauver» le caractère français du Québec? Une immigration maghrébine et proche-orientale hautement qualifiée, qui maîtrise souvent le français mieux que les «de souche», mais dont le taux de chômage (dû, entre autres, au «corporatisme professionnel» et au «racisme systémique» à l’œuvre dans notre société) est scandaleusement plus élevé que dans le reste de la population. Rappelons que selon Statistique Canada, alors que le taux de chômage de la population en général est à 7% au Québec, pour les Maghrébins, la situation est toute autre avec un chiffre frôlant les 28% (pour les immigrants qui sont ici depuis moins de cinq ans).
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Marco Veilleux est diplomé en théologie de l'Université Laval. Il a été directeur adjoint d'un centre d'éducation des adultes à Québec, puis rédacteur de la revue Vie liturgique (Ottawa). Il a publié une étude sur la vie et l'oeuvre de Simone Monet dans le livre Les visages de la foi (Fides, 2003), il a été membre de l'équipe du Centre Justice et foi à Montréal et directeur adjoint de la revue Relations. Il est actuellement adjoint aux communications pour les Jésuites du Canada français.
Marco Veilleux recommande cet article de Jacques Pelletier intitulé Chroniques de la morosité dans Ricochet qui commente la dernière publication de Bernard Émond. Pour lire l'article, cliquez ici.
Copyright Hermann Giguère 2016