Mgr Claude Dagens
Ces réflexions de Mgr Dagens, évêque d'Angoulême en France et membre de l'Académie française où il dit : «Je ne me résigne pas à la résignation ambiante sur l'avenir du christianisme» peuvent inspirer les catholiques québécois qui vivent eux aussi de tels changements que plusieurs ont envie de baisser les bras.
Quelques pistes évoquées ici pourraient s'appliquer au Québec avec bonheur. Pourquoi pas? Parler de "combativité intérieure" n'est-ce pas une ouverture vers des horizons qui dépassent "l'offre et la demande" dont Mgr Dagens dit: "Nous nous enfermons trop souvent dans la loi de l’offre et de la demande. L’Église serait du côté de l’offre, les autres, du côté de la demande. La demande n’étant pas en accord avec l’offre, il faudrait donc réviser l’offre. C’est idiot !"
L'artisan principal de la « Lettre aux catholiques de France », publiée en 1996 par l'épiscopat français, reconnaît l'affaiblissement institutionnel de l'Église. Mais il récuse les analyses statistiques sur l'avenir du christianisme, qui cachent, à ses yeux, un renouveau en profondeur et actuel de la demande spirituelle
Bonne lecture.

La Croix :
Une dizaine dannées après lenthousiasme suscité par la Lettre aux catholiques de France, la résignation semble dominer la réflexion sur lavenir des chrétiens. Quen pensez-vous ?
Mgr Dagens :
Je conteste le terme denthousiasme que vous employez. Car notre Lettre aux catholiques de France a été inégalement reçue : elle est aujourdhui ignorée de beaucoup, et surtout on la parfois comprise comme un bilan du catholicisme français à la fin du XXe siècle, avec une insistance sur notre situation supposée minoritaire.
Pourtant, cette lettre était dabord un acte de discernement à partir dune question primordiale : dans les mutations actuelles de la société et de lÉglise, quest-ce qui sefface et quest-ce qui émerge ? Et comment des catholiques relèvent-ils le défi de la foi ? Ces questions demeurent très actuelles. Et lobstacle est en effet cette résignation ambiante à laquelle je ne me résigne pas.
Les chiffres sont pourtant implacables
Nous nous laissons trop facilement déterminer de lextérieur par des évaluations statistiques : baisse de la pratique religieuse, raréfaction des prêtres, pénurie des vocations, éclatement de la mémoire chrétienne Ou influencer par une conception de lÉglise comme groupe de pression, auquel devraient sappliquer des catégories sociales et politiques.
Au-delà de ces conditionnements, lintuition de la Lettre reste toujours valable : quels que soient les difficultés et les obstacles, nous sommes appelés à nous déterminer, non de lextérieur, mais de lintérieur de la foi, à partir du premier appel de Jésus à ses disciples, « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. »
Comment vivre concrètement cet appel ?
En appliquant un autre critère, celui du défi. Comme en montagne, il y a deux versants : celui des difficultés et celui des possibilités. Nous avons du mal à les discerner : il y a un affaiblissement incontestable, mais il y a aussi des signes de renouveau en profondeur.
Influencés par des catégories extérieures, beaucoup ne peuvent percevoir ces signes positifs. Dans lÉglise, certains catholiques, prêtres et même évêques ne veulent pas les voir Dans la pauvreté actuelle, se réalise pourtant une recomposition intérieure du tissu de la foi et de lÉglise.
Il faut vraiment y croire
Nous avons peut-être été trop occupés par la réforme des structures régionales et nationales de lÉglise. Avec dautres, je crains que ces réformes nous aient éloignés dun autre horizon, celui des conditions et des exigences de lévangélisation. Les conditions cest que, même en étant moins nombreux, les chrétiens forment lâme du monde.
Quant aux exigences de lévangélisation, elles pourraient tenir en deux mots : intériorité et combativité. Madeleine Delbrêl, qui vivait il y a une cinquantaine dannées dans la banlieue de Paris, la bien exprimé : la rédemption et lévangélisation narrivent pas de lextérieur mais passent à travers nous-mêmes, et à travers les gens qui viennent frapper à la porte de lÉglise.
Certains courants insistent aujourdhui sur la combativité intérieure ; ils ont raison, à condition que cette combativité de lévangélisation soit digne de Jésus. Car Lui ne vient pas de lextérieur avec la recette de la vie éternelle. Il entre chez Zachée, il parle à la Samaritaine, il marche avec les disciples dEmmaüs. Cette pastorale du cheminement exige un combat intérieur qui nous appelle à ne pas désespérer quand nous ne sommes pas compris
Quelles pistes proposez-vous pour lavenir ?
Le défi est de ne pas nous résigner à nêtre que lÉglise des catholiques pour les catholiques mais à devenir davantage lÉglise catholique du Christ qui na pas peur de vivre et dannoncer le mystère du Christ à tout être humain en attente spirituelle.
Avec quelles priorités ?
Je propose trois pistes. La première consiste à réévaluer lévangélisation ; il faut décloisonner nos propres catégories. Nous nous enfermons trop souvent dans la loi de loffre et de la demande. LÉglise serait du côté de loffre, les autres, du côté de la demande. La demande nétant pas en accord avec loffre, il faudrait donc réviser loffre. Cest idiot !
Les demandeurs de Dieu ne sont pas des clients, mais des signes de Dieu. La conversion est certes demandée pour eux mais aussi pour nous-mêmes. Sommes-nous en effet capables de les accueillir et de les aimer comme des signes de Dieu ?
Le deuxième axe touche la liturgie et lexpérience spirituelle. La liturgie est un terrain sensible, mais les signes quelle exprime peuvent parler à beaucoup de gens qui ne sont pas familiers du sérail catholique. Il nous faut pratiquer la liturgie non comme un enfermement dans la citadelle catholique mais comme le beau déploiement des signes de la vérité et de lamour de Dieu.
Lors des baptêmes, des mariages, des obsèques, je suis frappé par lattention profonde des familles et des personnes présentes : elles sont alors en état déveil et dattente. De même nous ne savons pas assez pratiquer la prière pour elle-même. Non comme un élément parmi dautres mais comme un temps gratuitement ouvert à Dieu. Cest une demande nouvelle, elle vient des plus jeunes qui attendent ces temps de recueillement et de silence.
Dernier élément, le dialogue. Il y a chez les chrétiens une capacité considérable de relations humaines. Regardez dans les municipalités des villes et villages comme les chrétiens sont sollicités et consultés. Réalisons-nous combien lÉglise catholique est profondément liée à dautres dans notre société laïque ? Il nous faut encore déployer cette capacité de relation.
Une Église idéale existe-t-elle pour demain ?
Il y a une forte tentation à chercher pour demain des solutions immédiates et radicales Saint Augustin nous a appris à regarder lÉglise et la société comme un mélange inextricable. Dieu lui-même a choisi dhabiter notre humanité si mélangée.
De même avons-nous oublié leschatologie et sa réalité profonde : lÉternel est présent dans le temps et les signes du royaume de Dieu sont semés dans la lourde pâte de notre monde. À nous de discerner cette pédagogie divine à base de confiance.
Propos recueillis par Jean-Marie GUENOIS
dans la-Croix.com 11/11/2007 18:35
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Note du webmestre
A propos du dernier livre de Mgr Dagens Méditations sur l'Eglise catholique de France, libre et présente, publié récemnent - avril 2008 - aux éditions du Cerf, on peut lire sur le site de l'éditeur : « Ces paroles de l'apôtre Paul inspirent ce livre qui se présente comme un écho de la grande Méditation sur l'Église du Père Henri de Lubac. Mgr Dagens, qui fut, il y a une dizaine d'années, le maître d'uvre de la Lettre aux catholiques de France, a voulu livrer dans ces pages son expérience, ses épreuves et ses convictions. En contemplant le travail de Dieu au sein du peuple des baptisés, il montre comment l'Église catholique en France, tout en étant institutionnellement affaiblie, est aussi en état de renouvellement intérieur : elle se reconnaît elle-même non plus comme un bloc, mais comme un corps, peut-être usé ou blessé, mais vivant de la vie du Christ. Elle a le droit de se dire «libre et présente» dans notre société oublieuse de ses racines. Ce livre porte en lui un appel insistant : comprendra-t-on que des temps d'épreuves peuvent être aussi des temps de renaissances, et donc d'espérance ? »
Il est aussi l'auteur de La Nouveauté chrétienne dans la société française. Espoirs et combats d'un évêque (Cerf 2005, Collection L'Histoire à vif), de Le Rosaire de lumière (avec Véronique Margron, Cerf 2003), et de nombreux ouvrages en collaboration.
Tiré de SME-Infonet http://www.webzinemaker.com/sme/, webzine publié par la Société des prêtres du Séminaire de Québec.