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La spiritualité du prêtre diocésain « Comme Lui nouer le tablier...»

« Comme Lui savoir dresser la table, comme Lui nouer le tablier... » (Chant de Robert Lebel). Conférence aux prêtres et diacres de la Région pastorale de Limoilou, Laurentides et Québec/Centre à l'occasion de leur rencontre pour le Jeudi-Saint, le mercredi 8 avril 2009, à 15h30 à la Salle des prêtres du Séminaire de Québec par Mgr Hermann Giguère P.H., Supérieur général du Séminaire de Québec.



Un groupe de prêtres du Prado, association de prêtres diocésains fondée par le bienheureux Antoine Chevrier en 1860
Un groupe de prêtres du Prado, association de prêtres diocésains fondée par le bienheureux Antoine Chevrier en 1860
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Cette conférence a été publiée en version réduite pour le lancement de l'Année sacerdotale du 19 juin 2009 au 19 juin 2010 dans la revue Pastorale Québec , vol. 121, 6 juin 2009, pp. 4-8 sous le titre La spiritualité du prêtre diocésain 'Comme Lui nouer le tablier...' et reproduite avec les autorisations de l'auteur et de la revue sur le site internet du Diocèse de Montréal. Lire ce texte réduit.

J’ai intitulé mon texte : La spiritualité du prêtre diocésain comme me l’a demandé l’abbé Denis Bélanger, notre vicaire épiscopal, mais je n’ai pas un modèle normatif de spiritualité du prêtre diocésain à vous proposer. Vous avez tous développé au cours des années à travers votre cheminement une forme concrète et incarrnée de spiritualité de prêtre diocésain. Ce que je ferai simplement avec vous cet après-midi, c’est une présentation d’un miroir dans lequel vous pourrez vous regarder en tant que prêtre. Ce regard ne sera pas le mien. Ce sera le vôtre. Je me contenterai de vous laisser des points de repères pour jauger votre identité personnelle de prêtre diocésain, pour l’évaluer, pour la cultiver mieux, mais surtout pour en vivre toujours plus intensément au fil des jours.

Ceci étant dit, permettez-moi de vous présenter d’abord le texte que j’ai préparé pour cette rencontre, puis, par la suite, nous pourrons avoir un moment d’échange et de questions avant le vin d’honneur et le repas fraternel que vous offre le Séminaire de Québec à l’occasion du Jeudi Saint et en préparation de l'Année sacerdotale annoncées par le pape Benoît XVI qui commencera le 19 juin 2009. Vous ne serez pas surpris si je vous dis, d’entrée de jeu, que je me suis inspiré en grande partie, pour mon exposé, du cours que je donne aux séminaristes de dernière étape sur la spiritualité des ministères.

Commençons par regarder brièvement comment naissent les spiritualités ? Ce que je vais décrire vaut non seulement des familles spirituelles, des spiritualités en général, mais des spiritualités personnelles puisque dans tous les cas, le même processus est à l’œuvre.

Le pilier essentiel : l’expérience spirituelle

Une spiritualité n'est pas d'abord une application de principes, une déduction à partir d'une théorie, mais elle est le résultat d'une expérience d’un sujet-croyant qui se dit, qui se structure et se donne les moyens d'aller plus loin.

Les spiritualités naissent donc d'une expérience d'une personne ou d’un groupe de personnes. Elles sont reçues plutôt qu'elles ne sont créées. Elles prennent des configurations variées. Leur naissance et leur développement mettent en œuvre un processus continuel d'interprétation qui est partie inhérente de toute expérience spirituelle personnelle.

Regardons-y de plus près si vous le voulez bien. L’expérience spirituelle ne se vit pas toujours au même niveau. Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) écrivait avec sagesse et discernement qu’autre chose est d’ « avoir l’expérience », de « percevoir » ce qui se passe et de l’ « expliquer ». Revenons un moment sur chacun de ces niveaux.

« Avoir l’expérience ». Le premier niveau est celui de l'expérience elle-même, indicible et unique. « Ce qui est vécu ».

« Percevoir ce qui se passe ». Le second niveau est une première « perception de ce qui est vécu ». On le raconte, on le décrit, on tente de l’exprimer dans des mots ou autrement. Ce second niveau implique nécessairement une première interprétation, par des œuvres poétiques ou artistiques, des récits autobiographiques, des confidences, des témoignages, des symboles, des «visions», des œuvres apostoliques, des engagements sociaux, et que sais-je encore. Ce champ de la première interprétation est aussi vaste que les moyens d'expression dont on bénéficie et à la mesure des talents naturels des protagonistes. Si je me suis arrêté plus longuement à ce deuxième niveau, c’est pour une raison bien simple. C’est parce que c’est sur ce terrain que naissent et se développent des «écoles de spiritualité», des «familles spirituelles» et des « spiritualités particulières » dans l'Église comme celle des évêques, des prêtres et des diacres.

« Expliquer ce qui se passe». Enfin, souvent, mais pas tout le temps, il y a un troisième niveau où l’on pousse plus loin le processus d'interprétation en développant une réflexion d'ensemble, des «référents », une «théologie», une « élaboration systématique », une « doctrine spirituelle » pourrait-on dire, qui présente une vision particulière reliée aux réalités de la foi.

Retenons donc que toute spiritualité vécue est l'objet d'une réinterprétation, d’une re-lecture, d’une re-formulation constante. Elle « s'acculture », « s'acclimate » aux générations qui se suivent, aux lieux, aux théologies et aux intérêts variables de ceux et celles qui l'adopte ou s'en inspire.

Application à la spiritualité des prêtres

La spiritualité du prêtre issue des réformes du Concile de Trente et de l'école Française soutenait le prêtre dans son rôle de chef du peuple qui lui inculquait le sens de la dignité et la connaissance des pouvoirs dont il était dépositaire. À l'époque, la spiritualité sacerdotale se structurait autour des exercices de piété et de l'ascèse sacerdotale qui se définissait par le souci des convenances ecclésiastiques.

L'attention était mise sur le Christ Souverain-Prêtre et le sacerdoce des prêtres était vu comme en étant la réplique. Les prêtres étaient invités à suivre les exemples du Christ, ses fonctions de médiateur étant également celles du prêtre, et ce dernier, ayant le caractère sacramentel, se devait de les exercer comme Jésus les a lui-même exercées. On insistait beaucoup sur le caractère sacramentel qui donnait au prêtre d'avoir en lui la physionomie presque physique, pourrait-on dire, du Christ-Prêtre-Souverain. La référence première de la spiritualité du prêtre était d’abord ontologique. On misait sur la consécration Cette approche a donné de grands saints, mais elle a le désavantage de mettre l’expérience en sourdine et que celle-ci cède alors la place au cadre extérieur, aux règles et à un format prédéterminé.

Le Concile Vatican II a changé totalement la perspective et nous en sommes les héritiers directs, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte.

Le Concile Vatican Il s'est clairement orienté vers une spiritualité presbytérale mettant en valeur l’expérience d’une personne qui cherche à vivre une relation vivante et constante au Christ Pasteur. L'unité de vie, lit-on au numéro 13 de Presbyterorum Ordinis, ne peut se construire ou se réaliser uniquement par les exercices de piété qui y contribuent grandement, mais également, et surtout, par la nécessaire volonté de suivre « l'exemple du Christ Seigneur dont la nourriture est de faire la volonté de Celui qui l'a envoyé et d'accomplir son œuvre. » (Presbyterorum Ordinis, no 13)

Voilà un choix clair, qui remet au premier plan l’expérience d’un sujet-croyant et qui peut donner naissance à des spiritualités personnelles vairées, mais toutes inspirées de la même source.

Ainsi, le Concile Vatican Il, par rapport au Concile de Trente, passe du Christ-Souverain- Prêtre au Christ consacré et envoyé pour accomplir la volonté de Celui qui l’a envoyé, le Dessein de Salut du Père. Il n’y a pas que la consécration qui sert de référence, mais aussi la mission. C’est désormais, le Christ consacré et envoyé qui devient le pôle inspirateur de toute la vie du prêtre.

Un appel à une sainteté particulière : pour et avec le peuple de Dieu

Dans cette perspective, le Concile Vatican Il définit la « vocation des prêtres à la sainteté » comme un appel à une sainteté objective, bien sûr, provenant du lien qui unit le prêtre au Christ par le sacrement de l'Ordre qui le configure au Christ-Prêtre et en même temps à une sainteté subjective qui s'acquiert graduellement par l'homme-prêtre, avide de transcrire cette union ontologique au Christ, dans sa vie personnelle, dans l'accomplissement de son ministère.

Ainsi, avec Vatican Il, le prêtre apparaît dans sa personne et dans sa mission sacramentelle, à l'intérieur de l'Église, comme signe de la priorité absolue et de la gratuité de la grâce, qui est donné par le Christ ressuscité à son Église. Par le sacerdoce ministériel, l'Église prend conscience, dans la foi "qu'elle ne peut pas exister par elle-même, mais par la grâce du Christ dans l'Esprit Saint ». Les Apôtres et leurs successeurs, comme détenteurs d'une autorité qui leur vient du Christ Tête et Pasteur, sont placés par leur ministère face à l'Église, comme prolongement visible et signe sacramentel du Christ. Les ministres ordonnés deviennent alors les signes et les serviteurs de l'initiative du Christ qui construit son Corps. La mission du prêtre revêt un triple aspect. Le prêtre est à la fois prophète, prêtre et roi. Il est au service de l’annonce de l’Évangile, des sacrements et de la communion entre les groupes, les communautés et les Églises.

L'apport du concile Vatican Il a été d'affirmer que le ministère presbytéral ne peut être compris en dehors du Peuple de Dieu et ainsi de situer le ministère presbytéral dans sa relation constitutive au sacerdoce de tout le peuple de Dieu. « Évêque pour vous, chrétien avec vous », disait saint Augustin (« Vobis sum episcopus, vobiscum christianus »). Et il continuait : « Si donc être avec vous comme racheté m’apporte plus de joie que d’être placé à votre tête, en suivant le commandement du Seigneur, je tâcherai de vous servir, avec le plus grand dévouement, pour ne pas être ingrat envers celui qui m’a racheté au prix de m’avoir fait votre serviteur » (PDV no. 20). Le ministère presbytéral est au service du sacerdoce de tous les baptisés, où les chrétiens apparaissent comme un « sacerdoce saint ou royal ».

En recevant l'imposition des mains, le baptisé qui devient diacre, prêtre ou évêque ne cesse pas de faire partie du peuple de Dieu, son sacerdoce baptismal demeure intact, tel qu'il était auparavant. Comme tout autre baptisé, le nouvel ordonné continue de s'offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. Même s'il est établi dans un rapport nouveau avec le peuple de Dieu, il n'en est pas pour autant séparé. Son ministère se situe au plan de la représentation, du signe sacramentel.

Les voies de la formation de l’identité spirituelle personnelle du prêtre diocésain

Venons-en maintenant à quelques pistes de méditation qui serviront de miroir concret pour le prêtre du XXIe siècle. Nous avons dans la « spiritualité presbytérale » et dans la « spiritualité diaconale » une situation « existentielle » incontournable où, comme y a insisté le Concile Vatican II dans le Décret sur le Ministère et la Vie des prêtres au numéro 2, « consécration et mission » sont indissociablement unies, car il n’y a pas de consécration sans mission et il n’y pas de mission sans consécration. C’est le point de départ à ne jamais oublier.

Cette situation « existentielle » s’incarne dans des conditions de vie concrètes : état de vie, circonstances de lieux et de temps, etc. Elle cherche des voies pour s’exprimer et se nourrir. Avec mes étudiants du cours sur la spiritualité des ministères, nous avons choisis trois voies à privilégier. Elles peuvent nous aider, je crois bien modestement, à croître comme prêtres-pasteurs et toutes proportions gardées comme diacres-serviteurs. Nous les avons appelées : la voie évangélique, la voie du ministère, la voie des engagements ecclésiastiques qui répondent à des exigences particulières que l’Église impose ou recommande.

Ces trois voies sont comme des repères qui nous permettent de décrire comment peut se développer le cœur d’une spiritualité liée à un ministère. Ils ne sont pas les seuls repères, mais ils m’apparaissent essentiels pour le développement d’une spiritualité riche, saine et équilibrée.

a) La voie évangélique

Commençons avec la voie évangélique. En ce qui concerne l’interpellation des exigences évangéliques, aucune n’est laissée dans l’ombre, mais le prêtre privilégie celles qui concernent les serviteurs puisqu'il se définit comme tel à la suite du Christ, le Serviteur par excellence, Tête et Pasteur. En effet, il s’efforce de cheminer en s'inspirant de l'approche de Jésus qui est venu sauver ce qui était perdu et qui a donné sa vie pour ses brebis. Cette façon de voir a plusieurs conséquences concrètes que de nombreux textes de l’Évangile nous transmettent. Voici un choix d’impératifs évangéliques en relation avec les manifestations concrètes d’un « esprit de serviteur » chez le ministre ordonné.

Choisis par grâce

Les serviteurs de Jésus et de son Évangile ont répondu à un appel. Ce ne sont pas eux-mêmes qui se sont désignés ou choisis. « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn15, 16).  « Moi, je sais quels sont ceux que j'ai choisis » (Jn 13, 18). N’importe qui peut être choisi. Leur mission est grâce, avant tout. L'orgueil, la vanité, la conscience de classe etc., sont donc non fondés et illégitimes. Comme ministre ordonné (cela vaut autant pour le prêtre que pour le diacre) tu as été choisi par un appel provenant du Christ confirmé par l’Église.

Tous égaux et frères

Une deuxième série d’appels a trait à la fraternité. Celle-ci a été très présente chez les prêtres au Québec et notamment dans la fondation de la Société des prêtres du Séminaire de Québec selon le témoignage de M. de Maizerets rapporté par le premier biographe du bienheureux François de Laval, Bertrand de Latour: « le prélat ne faisait rien de considérable que de concert avec nous tous. Nos biens étaient communs avec les siens. Je n'ai jamais vu faire parmi nous aucune distinction du pauvre et du riche, ni examiner la naissance et la condition de personne, nous regardant tous comme frères». C'est le sens profond de la donation de ses biens au Séminaire que fit François de Laval en 1680. Il voulait « que tout le clergé ne fit qu'une famille».

Puisque tous sont égaux et frères, il n'y a donc pas lieu d'établir une hiérarchie spirituelle. Chacun y va de sa générosité et ses talents. Il y a des chances égales, et un salaire égal, pour tous les serviteurs : « Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers'. Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent et reçurent chacun une pièce d'argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent. » (Mt 20, 8-10).

Respect absolu et total des personnes

Les serviteurs de l’Évangile ont l'obligation absolue de la compassion, d'être miséricordieux et compatissants comme le Christ lui-même qui s’est fait le serviteur de tous. Il ne leur revient ni d'évaluer, ni de juger, ni de condamner : «  Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et vous recevrez : une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous » (Lc 6,37-38). La moisson n'est pas leur affaire, et ils n'ont aucune décision à prendre au sujet de l'ivraie « Les serviteurs disent [au maître]:'Alors, veux-tu que nous allions l'enlever ?' Il répond : 'Non, de peur qu'en enlevant l'ivraie, vous n'arrachiez le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson » (Mt 13, 28-30).

C’est cette compassion qui a manqué dans le cas de l’excommunication prononcée par un évêque du Brésil à l’égard d’une maman et d’un groupe de médecins qui avaient jugé devoir procéder à l’interruption de grossesse d’une jeune fille de 9 ans, enceinte suite à un viol. Mgr Yvon-Joseph Moreau, évêque de Ste-Anne-de-la-Pocatière, termine son homélie du 15 mars 2009 sur cet événement par ces mots : « En tant qu’humain et pécheur, en tant que moine et évêque, je serais plus heureux de faire partie d’une Église qui pourrait se tromper par excès de compassion et d’attention aux personnes, que de faire partie d’une Église qui se tromperait par excès d’intransigeance et de rigueur à défendre ce qu’elle pense la vérité... »

Recherche de fécondité et d’efficacité

De la part des serviteurs de l’Évangile, l'on attend absolument l'efficacité, la fécondité du travail. « Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n'a pourtant rien préparé, ni accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups » (Lc, 12, 47). Quel que soit le trésor confié à leur sollicitude (l'Évangile, en l'occurrence), il ne leur est pas confié pour qu'ils le « conservent », mais pour qu'ils lui fassent porter du fruit en faveur du Dieu jaloux, plein d'amour. Méditer la parabole des talents où le serviteur qui n’a rien fait tente de se justifier en disant au roi « Tu es un homme exigeant, tu retires ce que tu n'as pas déposé, tu moissonnes ce que tu n'as pas semé » et le roi répond « Je vais te juger d'après tes propres paroles, serviteur mauvais : tu savais que je suis un homme exigeant, que je retire ce que je n'ai pas déposé, que je moissonne ce que je n'ai pas semé alors pourquoi n'as-tu pas mis mon argent à la banque ? A mon arrivée, je l'aurais repris avec les intérêts » (Lc 19, 21-23). Également le récit parallèle de Mt 25, 14-30.

Modestie et humilité

Je pourrais continuer longtemps avec ces textes sur les serviteurs. Qu’il me suffise d’en ajouter un dernier. En dépit de l'exigence absolue de fécondité et de rentabilité qui leur est adressée, les serviteurs sont invités à se regarder eux-mêmes comme inutiles. « De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir.' » (Lc 17, 10). On peut se passer d'eux. Ils sèment mais c’est Dieu qui fait croître la semence. Ils sont interchangeables. C’est la mission qui est première et non pas leur personne ou leurs créations individuelles ou collectives.

Je m’arrête en vous invitant à continuer cette méditation par vous-mêmes en ces Jours Saints dans lesquels le Serviteur par excellence se présente à nous dans toute sa faiblesse et dans toute sa grandeur.

b) La voie du ministère

Venons-en à la voie du ministère. Quand on essaie de cerner les exigences « ministérielles », on constate rapidement qu’elles ne sont pas d’une nature autre que le ministère lui-même. C’est le ministère presbytéral (ou diaconal) lui-même qui est le « moyen authentique » de suivre les traces de Jésus.

La vie spirituelle du prêtre se doit d’être modelée par les comportements, les sentiments et les attitudes du Christ Tête et Pasteur de l’Église. L’Exhortation apostolique post-synodale Je vous donnerai des pasteurs en 1992 à la suite du Synode sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles tenu à l’automne 1990, montre bien que la vie spirituelle du prêtre se cristallise dans la charité pastorale qui est présentée comme une « participation de la charité pastorale du Christ Jésus » (PDV no 23). Au numéro 22 le pape Jean-Paul II développe le caractère sponsal de celle-ci. Je vous cite ce passage : « C’est pourquoi, écrit le pape, [le prêtre] est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Église épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoin de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un cœur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total continu et fidèle ». La charité pastorale, « participation de la charité pastorale du Christ Jésus » a donc un caractère sponsal qui l’habite et l’anime.

Le regard fixé sur le Christ Jésus Tête, Pasteur et Époux, le prêtre se laisse modeler et nourrir par son ministère accompli dans l’Esprit du Christ. « Ministres de la Parole de Dieu, dit le concile Vatican II au numéro 13 de Presbyterorum Ordinis, [les prêtres] la lisent et l’écoutent tous les jours pour l’enseigneur aux autres ; s’ils ont en même temps le souci de l’accueillir en eux-mêmes, ils deviendront des disciples du Seigneur de plus en plus parfaits…Ministres de la liturgie, surtout dans le sacrifice de la Messe, les prêtres y représentent de manière spéciale le Christ en personne…ils sont dès lors invités à imiter ce qu’ils accomplissent…Guides et pasteurs du peuple de Dieu, ils sont poussés par la charité du Bon Pasteur à donner leur vie pour leurs brebis…à renoncer à leurs avantages personnels…à être prêts, s’il le faut, à s’engager dans des voies pastorales nouvelles sous la conduite de l’Esprit d’amour qui souffle où il veut » (PO no13).

Il y aurait tellement à dire. Permettez-moi de vous partager, la réflexion de Donald Cozzens, un prêtre américain, que j’ai entendu lors d’un congrès des directeurs spirituels à Portland (Oregon). Il est l'auteur du volume Le visage nouveau des prêtres.

Father Cozzens, dans cette spiritualité nourrie du ministère presbytéral lui-même, donne la première place à la prédication. Pour lui, - et je partage totalement ce point de vue et cette expérience ainsi que de nombreux confrères - la prédication dominicale ou quotidienne dans une assemblée célébrante est le lieu par excellence où le ministre se laisse envahir et interpeller par la Parole et où il l'actualise dans les conditions concrètes où il se trouve parce qu’il devient alors non seulement un auditeur de la Parole, mais un « Tender of the Word », celui qui propose, qui offre la Parole aux autres et à lui-même.

« La spiritualité du prêtre diocésain, écrit Father Cozzens, émerge de son ministère comme prêtre et prédicateur, écrit Father Donald Cozzens. Il prie dans le but de prêcher et il prêche dans le but de prier. ..Il est possible donc de parler de la spiritualité du prêtre comme d'une spiritualité dialectique. La nature dialectique de la spiritualité du prêtre apparaît le plus clairement dans sa prédication, dans son service de la parole de Dieu. L'encouragement à donner l'homélie aux célébrations eucharistiques quotidiennes, aussi bien qu'à celles du dimanche constitue un développement structurel majeur dans la spiritualité du prêtre qui émane de Vatican II. Car l'homélie quotidienne exige la prière et la réflexion, l'étude et la contemplation » (COZZENS, Donald, B. “Tenders of the Word” dans COZZENS, Donald, B. , éd., The Spirituality of the Diocesan Priest, The Liturgical Press, Collegeville, Minnesota, 1997, p. 56.).

Votre « spiritualité personnelle » met sûrement d’autres éléments en valeur, car le champ des exigences ministérielles qui configurent la spiritualité du prêtre est immense et comporte des variations liées aux personnes, aux lieux et aux temps. C’est pourquoi, on peut parler avec justesse de diverses spiritualités presbytérales. La structure demeure la même, comme je l’ai dit plus haut, mais la figure, les réalisations sur le terrain prennent divers visages. À chacun de développer son identité spirituelle personnelle de ministre ordonné. Une spiritualité propre au prêtre diocésain n’est pas seulement un amalgame de dévotions ou d’exercices, mais elle s’intègre de façon concrète à sa vie de pasteur et elle en respecte les particularités.

c) La voie des exigences et des recommandations ecclésiastiques

Ces engagements et ces recommandations résultent de dispositions de l’Église qui ont connu des développements au cours des âges et qui ne peuvent se présenter comme nécessaires et essentielles, quoiqu’ils modèlent profondément la spiritualité du prêtre (et du diacre).

Aujourd’hui les engagements demandés par l’Église se cristallisent autour de l’exigence du célibat, de celle de la prière des Heures, de celle de l’incardination pour le prêtre diocésain, de celle des vœux et du rattachement à sa congrégation ou à son Ordre pour le prêtre religieux et du non-remariage pour le diacre qui devient veuf.

Ces engagements bien qu’ils répondent à des lois ou des dispositions obligatoires ne sont pas pour autant de simples engagements extérieurs. Le célibat, par exemple, engage la personne dans ce qu’elle a de plus intime. La prière des Heures, quant à elle, actualise la fonction d’intercession inhérente au ministère presbytéral lui-même. L’incardination déborde le seul rattachement juridique : elle créée un lien « mystique », dira Mgr Gilson, avec la communauté diocésaine. J’y reviendrai un peu plus loin.

Sur le plan des recommandations de l’Église, on retrouve les moyens de sanctification que les documents du Concile et les documents du Magistère recommandent. À strictement parler, il ne s’agit plus ici d’ « exigences », ni d’engagements formels, il s’agit plutôt d’incitatifs fortement recommandés. Ces moyens sont la lecture de l’Écriture, la célébration quotidienne de l'Eucharistie, l’adoration eucharistique, la récitation du chapelet, l’oraison mentale, les retraites et les journées de récollection etc. (Décret sur le ministère et la vie des prêtres, no 18). Ces moyens prennent aujourd’hui des visages renouvelés avec internet notamment, où on peut suivre, par exemple, une retraite pendant le Carême avec les dominicains de Lille qui proposent à chaque jour une méditation et un moment de prière avec la communauté sans parler du blog et de l’accompagnement disponible en ligne.

Avant de terminer, j’aimerais revenir sur l’incardination, si vous le voulez bien. La vocation du prêtre diocésain se distingue de celle d'un prêtre membre d'un Ordre religieux ou d'une congrégation religieuse par le lien créé avec une Église locale. En effet, c'est à partir de la réalité de l'Église locale que se former la physionomie spirituelle ou l'identité spirituelle originale du prêtre diocésain. Il ne s’agit pas seulement d’un lien juridique, mais d’un lien « mystique », « spirituel » parce que le lien du prêtre diocésain à l'Église locale ouvre sur le Peuple de Dieu, sur l'Église. en devenir, ici et maintenant.

Le prêtre diocésain sera donc partie prenante des enjeux et défis de cette partie du Peuple de Dieu qu'est son Église particulière, son Église propre et cela marquera profondément sa spiritualité propre. Le rattachement à une Église locale étant au cœur de la spiritualité du prêtre diocésain, les retombées spirituelles de l'incardination ne tiennent pas tant au cadre juridique qu'à la vision de l'Église particulière qui anime les prêtres. L'incardination ouvre sur la solidarité et la communion comme valeurs spirituelles indispensables à la vie du prêtre. Elle amène un positionnement personnel dans la façon de vivre l'obéissance à l'évêque parce que, d'une part, c'est lui qui par l'ordination au diaconat ou par une lettre d'incardination établit le rattachement à une Église particulière et parce que, d'autre part, l'Église particulière n'existe pas sans l'évêque. « Les évêques sont, chacun pour sa part, principe et fondement de l’unité dans leurs Églises particulières » (Constitution sur l'Église de Vatican II, n. 23).

Conclusion

Je vous ai présenté un miroir de la spiritualité du prêtre diocésain. Comme je l’ai répété plusieurs fois, il n’y a pas une seule spiritualité du prêtre diocésain, mais il y a des spiritualités du prêtre diocésain parce que les conditions de lieux, de temps ou de personne varient.

Mais comme j’ai tenté de le montrer dans le miroir tracé, si les figures et les visages qui se reflètent dans le miroir sont divers, il y a une structure, comme dit le Père Sesboué à propos du ministère ordonné, qui demeure toujours la même. Il en est ainsi de la spiritualité du prêtre (ou du diacre ou de l’évêque), de la spiritualité presbytérale, de la spiritualité diaconale ou de la spiritualité épiscopale, si vous préférez ces désignations. La spiritualité du prêtre ou spiritualité presbytérale repose essentiellement sur la consécration et la mission intimement unies et inspiratrices de toute la vie du prêtre à la suite du Christ, Tête et Pasteur, consacré et envoyé pour le salut du monde.

Je vous laisse sur ce beau texte d’Henri Nouwen qui vous rejoindra, j’en suis sûr, sur le chemin du développement d’une identité spirituelle personnelle marquée au plus haut degré par le ministère que nous accomplissons au service du Peuple de Dieu et au service de l’Évangile.

"L'identité du pasteur, qui devient visible dans son service pastoral, naît d'une tension imperceptible entre l'affirmation de soi et le renoncement à soi, la réalisation de soi et le sacrifice de soi, la satisfaction personnelle et l'anéantissement. Selon les périodes de la vie, l'accent sera mis davantage sur un pôle ou sur l'autre, mais, en général, à mesure qu'une personne acquiert plus de maturité, elle aura tendance à moins rechercher à ceindre ses reins elle-même et plutôt à tendre les mains et à suivre Celui qui a trouvé sa vie en la perdant." (Henri J. M. Nouwen, Pour des ministères créateurs, Bellarmin, Montréal, 1999, p. 67.)


Mgr Hermann Giguère P.H.
Supérieur général de la Société des prêtres du Séminaire de Québec

Le 8 avril 2009.


Cette conférence a été publiée en version réduite dans la revue Pastorale Québec , vol. 121, 6 juin 2009, pp. 4- 8 sous le titre La spiritualité du prêtre diocésain 'Comme Lui porter le tablier...' et reproduite avec les autorisations de l'auteur et de la revue sur le site internet du Diocèse de Montréal
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Prêtres en service au Petit Cap.
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Mardi 14 Avril 2009
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