Matteo Ricci reste dans la mémoire des Chinois. Quatre cents ans après sa mort, « Li Matou » est reconnu comme un missionnaire « respectueux » et un scientifique « généreux » par les évêques, prêtres, laïcs ou intellectuels chinois athées


MATTEO RICCI : QUEL HÉRITAGE?


«Li Matou, mais bien sûr que je le connais, tous les Chinois le connaissent ! C'est un homme très important pour la Chine ! » Sandy Fan, jeune catholique de 25 ans du diocèse de Taiyuan dans la province du Shanxi s'en étrangle presque lorsqu'on lui pose la question de savoir ce qu'évoque pour lui Matteo Ricci à de son nom chinois « Li Matou » et dont on célèbre les 400 ans de la mort.

Issu d'une très ancienne famille catholique du nord de la Chine près de Pékin (« mais qui ne remonte pas jusqu'à l'époque de Li Matou au XVIIe siècle ! »), il voit avant tout l'illustre missionnaire jésuite italien comme « le premier prêtre étranger à avoir enraciné la religion catholique en Chine ».

De fait, et alors qu'il n'est pas le premier missionnaire occidental à s'être rendu dans ce pays, Matteo Ricci incarne aujourd'hui dans la mémoire collective chinoise le « premier » étranger à s'être totalement plongé dans l'univers chinois, sa langue, son écriture, son histoire, sa culture et peut-être plus que tout, dans l'âme de son peuple. « C'est grâce à lui qu'il y a des catholiques en Chine », résume Sandy Fan.

Adopter une approche spécifique pour partager l'Évangile

De son côté, et au-delà de la personnalité singulière de cet homme d'Église se fondant dans les arcanes de l'empire chinois de la dynastie Ming , le gouvernement chinois reconnaît surtout un « homme de science » ayant ouvert de nouveaux horizons aux intellectuels chinois férus de mathématique, d'astronomie ou de cartographie.

Cette notoriété se traduit concrètement par une mise en valeur historique officielle de cet « homme qui a tant apporté à la Chine ». Sur l'immense fresque du Monument du Millénium érigé à Pékin pour le passage au XXIe siècle et qui rend hommage aux personnalités culturelles de la dynastie Ming , on voit clairement Matteo Ricci, un télescope à la main et un astrolabe à ses pieds, posant derrière Li Shizen le médecin et Wang Yangming le philosophe !

D'emblée en arrivant en Chine, Matteo Ricci avait compris qu'il fallait y adopter une approche spécifique pour y partager l'Évangile. Dans une lettre à un correspondant européen datée du 12 mai 1605, il écrit : « J'insiste encore pour qu'on envoie un ou deux astronomes à la Chine. (…) Si ce mathématicien venait en Chine, (…) notre réputation irait en grandissant, l'entrée en Chine nous serait facilitée, notre séjour plus assuré et nous y jouirions de plus de liberté. » (1) Quatre siècles avant la politique d'ouverture et de réformes lancée en 1978, Matteo Ricci avait tout compris.

Ricci reçoit le privilège d'être enterré à Pékin

Peu d'étrangers - et encore moins de missionnaires catholiques occidentaux - ont reçu un tel honneur. Le Père lazariste français Armand David, botaniste et naturaliste, jouit également d-un grand respect dans la province du Sichuan (il a révélé au monde en 1869 l-existence du panda géant) mais plus pour ses compétences de scientifique que pour son identité de prêtre.



Décédé à Pékin, à l-âge de 57 ans, Matteo Ricci a reçu, de l-empereur lui-même, le privilège d'être enterré sur place, en dehors de la porte de l'Ouest où de nombreux autres jésuites furent enterrés par la suite.

Détruit par les Boxers en 1900, restauré par la suite, puis à nouveau détruit durant la Révolution culturelle en 1966, le site fut une nouvelle fois restauré et les stèles des trois grands missionnaires jésuites - Matteo Ricci, Adam Schall von Bell et Ferdinand Verbiest - ont été reconstituées. Elles se trouvent aujourd'hui dans un petit jardin au centre de l'école des cadres du Parti communiste chinois en plein coeur de la capitale.

«Un rôle de passeur, de médiateur entre les deux mondes»

« Pour le gouvernement chinois, Matteo Ricci est très très respecté et à mes yeux Li Matou est un pionnier », assure Beda Zhu, intellectuel catholique de Shanghaï dont la famille compte plusieurs jésuites. « Il a apporté un message occidental alors que la Chine ne connaissait rien à l'étranger, mais il l'a fait avec respect et ouverture. Si on veut connaître la Chine, il faut y vivre, apprendre la langue, comprendre les Chinois… et c'est seulement après avoir intégré tous ces éléments qu'on peut se permettre de contribuer à l'enrichissement du pays. Pas en donnant des leçons d'un air supérieur comme certains étrangers l'avaient fait avant lui et ont continué à le faire dans les siècles qui ont suivi. »

Même si Matteo Ricci n'a jamais mis les pieds à Shanghaï, son collègue, le P. Lazzaro Cattaneo y a introduit le catholicisme dès 1608 pour que la ville devienne progressivement la « capitale des jésuites » en Chine au XIXe siècle. C'est la raison pour laquelle Matteo Ricci n'a jamais été considéré par les autorités chinoises comme un « colonisateur et un impérialiste », contrairement aux missionnaires arrivés dans les bagages des soldats et commerçants occidentaux au XIXe siècle.

Beda Zhu reconnaît avoir eu connaissance de Matteo Ricci très tard dans sa vie - les trente ans de maoïsme expliquant largement cette ignorance - mais il a grandi avec à l'esprit la grande personnalité catholique chinoise de Shanghaï, Xu Guangqi, riche mandarin converti par Matteo Ricci. « À travers l'expérience de Xu Guangqi, j'ai compris la façon astucieuse et intelligente avec laquelle Li Matou nous a expliqué le christianisme afin de nous le rendre compréhensible : en utilisant les codes et la terminologie de la pensée chinoise. » À ses yeux, Matteo Ricci « a joué un rôle de passeur, de médiateur entre les deux mondes, présentant la culture et les institutions chinoises aux Occidentaux et la culture européenne aux Chinois, sans privilégier le christianisme ».

«Nous avons besoin de lui comme exemple»

Le jeune P. Jean Tian, né d'une famille catholique de la province du Shaanxi (ville de Xian), n'avait jamais, lui non plus, entendu parler de Matteo Ricci avant son entrée au séminaire de Sheshan près de Shanghaï dans les années 1990 : « Avant, nous n’avions pas de livres au séminaire mais plus tard, j'ai découvert combien cet homme avait joué un rôle exceptionnel dans l'histoire de l'Église de Chine, explique-t-il. D'ailleurs, il n'y a pas de cours spécifique sur Matteo Ricci, il fait plutôt partie d'un chapitre sur l'histoire de notre pays. »

Pour un autre de ses confrères du diocèse de Xian dans la province du Shaanxi, le P. Stephen Chen, la transmission s'est faite en famille : « La vie de Matteo Ricci m'a été racontée par mon oncle qui était prêtre lorsqu'il est sorti de prison en 1976 et, par la suite, j'ai lu des livres sur lui. J'adore l'histoire et comme j'ai fait mon séminaire aux États-Unis, je peux me procurer des biographies de Li Matou en anglais. Pour moi c'est d'abord un vrai missionnaire qui m'inspire dans ma vie aujourd'hui, mais c'est aussi un homme qui a apporté la connaissance dans une Chine des Ming encore très fermée. Nous avons besoin de lui comme exemple afin d'inspirer nos séminaristes aujourd'hui, qui sont un peu trop fiers et qui ne connaissent rien du tout… »

Un bel hommage à cet humaniste jésuite italien qui a jeté un pont entre deux univers qui ont encore besoin aujourd'hui de mieux se comprendre.



Dorian MALOVIC

(1) Cet extrait de lettre est tiré du livre que le P. Michel Masson, jésuite, directeur de l'Institut Ricci de Paris, vient de publier aux Éditions Facultés jésuites de Paris : Matteo Ricci, un jésuite en Chine, 205 p., 25 euros (avec huit lettres inédites de Matteo Ricci pour découvrir cet homme exceptionnel).

tiré du journal La Croix, 12-2-10


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Tiré de SME-Infonet http://www.webzinemaker.com/sme/, webzine publié par la Société des prêtres du Séminaire de Québec.

07/03/2010

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