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"Mutations identitaires, recherche de sens et actualité des saints et saintes, bienheureux et bienheureuses de l'Église canadienne" tel est le titre que j'avais donné à un article sur le sujet que j'avais écrit pour Pierres vivantes et qu'il n'est pas toujours facile de trouver. Le voici.
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Pour Pierres vivantes, le Bulletin du Comité des fondateurs et fondatrices de l'Église canadienne Le thème de l'identité, au Québec comme ailleurs, fait couler beaucoup d'encre. Le questionnement sur l'identité est intrinsèquement lié à une modernité aux incessantes tribulations selon Jocelyn Maclure (Cf. Jocelyn Maclure, Récits identitaires. Le Québec à l'épreuve du pluralisme, Éditions Québec Amérique, Montréal, p. 19). Les différentes sources de l'identité du sujet sont nombreuses: genre, sexualité, positionnement générationnel, spiritualité, identité professionnelle, ethnicité etc. "Il revient au sujet et non pas aux théoriciens de hiérarchiser et de définir l'importance qu'il accorde à ses différents aspects identitaires." (Ibid. p. 29) Un des aspects identitaires auquel nous renvoient les saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous est leur expérience spirituelle personnelle ou communautaire. Voilà pourquoi, il m'est apparu que lorsque nous cherchons à promouvoir l'actualité des saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous, nous oeuvrons d'une façon positive au surgissement de notre propre identité spirituelle personnelle ou partagée dans une famille spirituelle.
L'actualité au risque de l'interprétation
Nous commencerons par noter la diversité qui fleurit chez ces témoins de la foi qui nous ont précédés en montrant le rôle des sujets qui "hiérarchisent" et "définissent" l'importance des diverses facettes de telle ou telle expérience spirituelle. Les parcours de recherche d'une identité personnelle ou communautaire seront nécessairement interprétés ou ré-interprétés dans le temps et l'espace. Et c'est principalement sur ce registre que se joue l'actualité de tel ou tel parcours d'un devancier ou d'une devancière. Prenons un exemple. Il y a quelques années l'Ordre franciscain a demandé à l'O.N.U. d'avoir un siège au sein de l'organisme qui s'intéresse aux questions écologiques et environnementales. Pourquoi? L'amour de la nature si présent dans l'expérience spirituelle de François d'Assise (1182-1226) rejoignait ces questions importantes pour nous. À plus de huit siècles de distance, le "poverello" continue ainsi d'être d'une actualité surprenante par l'action de ses disciples qui relèvent pertinemment cet aspect de son parcours spirituel. Cette relecture, en effet, permet de déceler en François d'Assise une sensibilité proche des jeunes d'aujourd'hui sensibilisés aux défis écologiques et environnementaux du troisième millénaire. Toutefois, on pourrait se demander si son actualité au cours des siècles a toujours eu la même forme. En effet, l'image que retenait le Bienheureux Père Frédéric Jansoone (1838-1916) au siècle dernier était plutôt celle d'un solitaire, dépouillé, mortifié et rigoureux. Marqué par sa formation issue de la branche de la famille franciscaine appelée les "Observants", c'est l'austérité de vie du "poverello" qui à cette époque encore teintée de rigorisme et de jansénisme retenait l'attention du "bon Père Frédéric". J'ai choisi François d'Assise pour camper ce thème de l'actualité des saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous parce que François, revu et corrigé, relu et revisité depuis des siècles continue d'exercer un attrait certain dans le monde contemporain. Les saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous suscitent, eux aussi, un intérêt non négligeable de nos jours et répondent à leur manière à cette quête d'identité dont nous avons parlé au début. Les béatifications de Mère Marie-Anne Blondin (1809-1890) et celle de Mère Émilie Tavernier-Gamelin (1800-1851) dernièrement en sont une illustration éloquente. Le traitement qui en a été fait dans les médias s'est attaché à relever l'avant-gardisme de la première qui prônait déjà à son époque la mixité dans les écoles et l'implication sociale auprès des laissés pour compte de la seconde. La célébration au Centre Molson (Montréal), en particulier, en l'honneur de Mère Marie-Anne Blondin a permis de présenter un visage des plus intéressants de cette femme du siècle dernier, humble et dévouée, totalement consacrée à son œuvre au point de s'effacer pour que celle-ci survive et se développe. Les relectures des expériences des témoins de la foi qui nous ont précédés font naître une diversité de visages à partir d'une même expérience fondatrice, car chaque sujet, chaque personne, chaque époque, chaque groupe prend le risque de se laisser interpeller au-delà " des temps et de l'histoire". Des modèles à suivre ? Rendu au point où nous en sommes dans notre réflexion, nous pourrions nous demander si la pratique traditionnelle qui consiste à présenter les saints et les saintes comme des modèles peut toujours favoriser leur actualité. Il n'y a pas si longtemps le "quod isti et istae, cur non ego". "Ce qu'ils ont fait et ce qu'elles ont fait, pourquoi ne pourrais-je le faire moi aussi?" On trouve un bel exemple de cette "approche" dans la vie d'Ignace de Loyola. "Que serait-ce si je faisais ce que fit saint François et ce que fit saint Dominique?" se demandait-il dans sa convalescence après sa blessure à Pampelune (Voir Autobiographie, collection Livre de Vie, 27, Éditions du Seuil, Paris, 1962, p. 47). Cette façon de voir stimulait les héroïsmes et les ardeurs du peuple chrétien. La société de consommation et l'omniprésence des médias de communication qui ne cessent de lancer, de proposer et de construire des "modèles", des "vedettes", des "champions" de toutes classes et de toutes catégories, provoquent des questionnements en nous. Des dégoûts, des refus se font jour chez nos contemporains, chez les jeunes en particulier. Car on identifie "modèle" à "moule", à "carcan" ou encore à "mode". Dans cette dynamique, l'espace intérieur risque de se raréfier et de disparaître au profit des attitudes et des gestes empruntés… vertement dénoncés avec raison. Cette contestation plus ou moins exprimée, mais vécue avec intensité au Québec pris dans le mouvement des mutations identitaires qui le travaillent, porte à faux hélas! En effet, ce qui rend un saint ou une sainte attirant et actuel ce n'est pas ce qu'il a été, mais comment il a été témoin de l'Évangile et disciple de Jésus. Le "point synthétique" chrétien, pour reprendre l'expression de Balthasar (cf. Hans Urs von Balthasar, "L'Évangile comme norme et critique de toute spiritualité dans l'Église" dans Concilium, numéro 9, 1965, pp. 11-24) est en définitive l'"imitation de Jésus-Christ", le seul et unique modèle parce tout est "par Lui, avec Lui, en Lui" (doxologie de la prière eucharistique). Les "imitateurs", comme les saints et saintes canonisés et tous ceux et celles qui choisissent la norme de l'Évangile comme la référence unique de leur existence, tracent des voies d'actualisation, d'appropriation dans leur histoire et dans le temps que nous appelons des "spiritualités". Celles-ci peuvent devenir des familles spirituelles ou des traditions spirituelles à travers des disciples qui s'en inspirent, mais qui ne pourront jamais les mettre sur le même pied que la seule et unique spiritualité qui compte: imiter Jésus-Christ. Ce faisant, ils acceptent de servir à rendre le Christ, visible, je dirais, dans des figures, des réalisations, des gestes, des paroles qui lui donnent un visage pour leur temps et leurs milieux. L'évangile de Mathieu ne nous rapporte-t-il pas ces paroles étonnantes de Jésus: " Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde... Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux" (Mt, 5,13-16)? Unité foncière de toutes les spiritualités par leur référence au "point synthétique", l'Évangile, mais très grande diversité comme dans tous les domaines de la créativité humaine. À la recherche de témoins et de disciples Non seulement "être", mais "comment être", voilà ce que mettent devant nos yeux les saints et les saintes. Pour arriver à entrer dans ce "comment être" la lecture de leur vie, la célébration de leur souvenir, la réminiscence de leurs actions, la vénération de leurs restes etc. apportent beaucoup, mais elle ne suffisent pas. Je me dois d'entrer dans un processus de relecture spirituelle. Ce processus m'invite à suivre un chemin où se déploie la dynamique du sujet-interprétant qui reçoit et recueille à travers des traces de l'expérience passée quelque chose de non-dit, d'indicible, un "je ne sais quoi", un murmure de la Source. Lorsque je rappelle la vie de Marie de l'Incarnation (1599-1672) ou de François de Laval (1623-1708), je puis en dessiner les contours dans l'espace et dans le temps, mais je n'ai là que les traces d'un ailleurs qui reste sans cesse ouvert pour moi, sujet-interprétant. Ainsi l'actualité de Marie de l'Incarnation, par exemple, s'est manifestée dans les années trente du siècle dernier à travers son rôle de fondatrice et d'éducatrice comme en témoigne Pierre Pourrat dans sa fameuse Histoire de la spiritualité chrétienne. C'est le mérite de la relecture d'Henri Brémond dans L'histoire du sentiment religieux en France à partir des guerres de religions d'avoir mis l'accent sur l'expérience mystique de celle-ci et ainsi amorcer un intérêt nouveau qui s'est porté sur les écrits de la mystique élevés au même rang que ceux de Thérèse d'Avila proclamée avec Catherine de Sienne "Docteur de l'Église" par le pape Paul VI en 1970. La question de l'actualité d'une expérience spirituelle d'un saint ou d'une sainte nous renvoie non seulement à lui ou elle, mais elle enclenche un processus de "réception" en nous. C'est le "sujet-lecteur" qui fait, pourrait-on dire, l'actualité de l'histoire d'une vie, d'un saint, d'une sainte, d'un itinéraire spirituel passé mais redevenu présent sous une forme autre. La mémoire est la condition même de l'actualité de la présence de nos devanciers. C'est à partir de la relecture des traces laissées qu'un visage de saint ou de sainte se dégage avec plus ou moins de netteté pour nous. Ce visage varie comme peuvent varier les représentations picturales. Les statues et images de Thérèse de l'Enfant-Jésus en sont une très bonne illustration. Elles sont à cent lieues des photographies d'elle que nous avons. Ces variations du visage des saints et des saintes conditionnent leur actualité. Pas de variations, pas de relectures, pas de "hiérarchisation" des repères, absence d'actualité, traces perdues, saints et saintes ignorés et laissés dans l'oubli. Conclusion Il me paraît logique de conclure ce bref exposé en notant que l'actualité des saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous ne tient pas tant à "ce qu'ils ont été" qu'à ce que nous recueillons des traces du "comment ont-ils été?" En d'autres mots, c'est à nous qu'il revient de relire activement l'expérience des saints, saintes et bienheureux, bienheureuses de chez nous. Et m'inspirant des réflexions de Jocelyn Maclure que je citais au début de cet exposé, j'ajouterais qu'il en va de l'affirmation de notre identité actuelle de chrétien-croyant en ce début du troisième millénaire. Un mot résumerait cette tâche urgente chez nous: "faire mémoire". L'oubli marque souvent la rupture et instaure le silence de la mort. Voilà pourquoi nous sommes invités à faire mémoire de ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi, ici, dans cet espace et cette culture qui sont les nôtres. "Faire mémoire": expression simple et familière qui recèle une énergie et une puissance incroyables. Elle indique que la mémoire n'est pas seulement un lieu, ou une faculté de notre être humain, ou encore un devoir moral. La mémoire est le fait d'une opération, d'un agir (Paul Ricoeur dans son ouvrage intitulé, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Éditions du Seuil, Paris, 2000, 688p. fait un parcours des pistes de la mémoire sous ses diverses facettes). Il n'y a pas de mémoire sans que nous ne fassions quelque chose, sans que nous ne nous disions quelque chose de nous-mêmes. dans les réalisations, les joies, les peines, les inquiétudes, et les questionnements de notre vie. Le "mémorial des saints et saintes, des bienheureux et bienheureuses" ne fait donc pas que célébrer les faits de leur vie, il "reçoit" maintenant et "raconte" dans notre aujourd'hui ce que, grâce à eux et à leur suite, nous pouvons et voulons être: des témoins de l'Évangile et des disciples de Jésus. Hermann Giguère professeur titulaire Faculté de théologie et de sciences religieuses Université Laval 1 novembre 2001 ___________________________ Publié sur internet le 24 juillet 2017 Nouveau commentaire :
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